« D’où viens-tu ? »
« Je ne sais pas. »
« Que viens-tu faire ici ? »
La jeune fille dévisagea de ses yeux d’un vert intense le vieil être qui lui faisait face. Il était de haute stature, les épaules larges et carrées, le menton volontaire, le nez aquilin et les yeux bleus. Sous son apparence de vieillard sénile, elle savait qu’une bête se cachait. Bienvenue chez les Lycans.
« Réponds ! »
Il avait froncé les sourcils, qui se rejoignaient maintenant, formant une ligne sombre qui ombrageait son regard. Comme c’était drôle de voir peu à peu l’énervement faire ses iris saphirs, tandis que son visage se crispait, traçant moult rides sur ses joues, son front, et aux coins de ses yeux. Depuis qu’elle était arrivée – donc pas si longtemps – elle n’avait pas vu en les membres de cette espèce le tribu qu’elle souhaitait trouver. Visiblement, c’était une quête vaine que de tenter de s’identifier à l’une des races de l’île. Elle soupira.
Ignorant les profondes et complexes réflexions qui allaient bon train dans le cerveau bouillonnant de la jeune hybride, l’homme s’avança d’un pas. Ses lèvres frémissaient. Bon. Peut-être valait-il mieux ne pas s’attarder.
Eregan ?
Un grondement lui répondit, tandis que l’haleine chaude de son loup caressait sa nuque. Elle sentit une onde d’assurance se répandre dans tout son corps, et en remercia mentalement le grand fauve ; jamais elle ne s’était sentie à l’aise en compagnie d’autres… personnes, préférant de loin celle des habitants sauvages de la forêt dans laquelle elle avait élu domicile.
Sans un mot de plus, elle fit volte-face. Droit, le poitrail gonflé, les babines retroussées, Eregan l’attendait, inondant la clairière de toute sa splendeur, en un parfait mélange de force et de noblesse. Il n’arborait cet air féroce que pour dissuader les présents de s’approcher de sa petite protégée, car elle sentait en lui des ondes paisibles. Il ne s’inquiétait pas.
La tête haute, la jeune femme le rejoignit et, d’un bond, se hissa entre ses épaules velues. Un dernier regard au vieil homme. Puis elle ferma les yeux, tandis que sous ses jambes roulaient les muscles puissant de son loup.

Cette nouvelle rencontre avait réveillé en elle les souvenirs passés. C’était sa deuxième rencontre avec les êtres civilisés qui peuplaient Stoneheart – et qu’elle s’était efforcée d’observer depuis son arrivée – et pourtant, rien de concluant… Les Nekos aussi avaient senti chez elle le battement d’un cœur frère, mais un demi-cœur ne suffit parfois pas. Pas tout à fait. Impossible de savoir.
Car c’était à cela qu’elle s’acharnait depuis déjà quelques saisons : découvrir son histoire. Comment était-elle née ? Quelle était son histoire ? Ses parents ? Ses origines ?
La rencontre avec les Nekos et, plus tard, avec les Lycans, lui avait montré combien elle pouvait leur ressembler, tout en étant aussi très différente. Car il est bien difficile de chercher les autres, tant qu’on ne s’est pas trouvé soi-même…

C’était en 1994, sur une plage au Nord de Stoneheart, là où aucun être doué de raison ne se serait normalement risqué. (description saison)
Pourtant, une petite silhouette était là, recroquevillée sur le sable, battue par les vents violents venant de la mer. Deux yeux verts, une longue chevelure dorée. Une petite fille.
Seule au milieu de l’immensité déserte, que la marée ne tarderait plus à engloutir. Déjà, les vagues lui battaient les pieds, par instant, faisant remonter un frisson sournois le long de ses jambes fragiles. Elle ne bougeait pas, immobile, à contempler, entre ses doigts transis, l’océan en rage, qui ne demandait que sa part du festin prochain.
Au loin, derrière, une silhouette apparut. Si la voix qui prononça ces mots, elle ne l’oublia jamais, elle ne put se rappeler les traits de son mystérieux sauveur.
« Quelqu’un t’attend là-bas. »
Puis ce fut le noir.

Et le blanc.
Un pelage, doux, rassurant. Enveloppée dans un cocon de chaleur animale, la petite s’éveilla de cet étrange songe. A l’instant même où ses yeux se rouvrirent, elle eut un sursaut. Les alentours étaient d’une netteté impressionnante. Elle distinguait, par delà la muraille de fourrure, les feuilles brunes d’arbres forestiers, au travers desquelles filtrait un peu de la pâle lumière du ciel nuageux.
Mais ce n’était pas cela, le pire. Il lui semblait qu’il n’y avait plus rien. Plus rien dans son esprit. Seuls des mots, qui se bousculaient sans arrêt dans une muette cacophonie, qui fit grimacer la petite. Près d’elle, la fourrure se mit en mouvement. Elle n’était pas si grande que cela, finalement, car elle sortit rapidement de son champ de vision. Pour revenir sous la forme d’une truffe humide et d’une langue râpeuse qui vint mouiller sa joue.
Elle leva les yeux. Un mot, un unique, s’affichait à son âme perdue.
Enya.